C’était un homme simple, au bord d’être fruste. Il vivait dans une cabane sous les châtaigniers des bosquets vallonnés de par chez nous. Sur une paillasse de crin, avec un chien jaune, du pain dur et du lard. L’été, il se louait aux moissons, et bricolait l’hiver à de menus ouvrages dans les maisons bourgeoises. À période fixe, comme on a ses règles ou comme on change de lune, Chaminade entrait en ivrognerie, par la grâce d’une immonde vinasse que M. Préfontaines lui-même n’eût pas confiée à ses citernes. Il s’abreuvait alors jusqu’à devenir violet, spongieux, sourd et comateux. Après sept ou huit jours, sa vieille mère, qui passait par là, le tirait de sa litière et le calait dehors sous la pompe à eau, pour le nettoyer d’une semaine de merde et de vomis conglomérés.
La plupart du temps, Chaminade n’avait pas le sou pour se détruire. Les petites gens du bourg se mêlaient alors de l’aider. Il faut chercher autour des stades pour trouver plus con qu’un quarteron de ploucs désœuvrés aux abords d’un bistrot.
– Ah, putain con, les hommes, regardez qui voilà-t-y pas sur son vélo ? Ho, Chaminade, viens-tu causer avec nous autres, fi de garce ? Chaminade ne refusait pas. Quand il rasait ainsi les tavernes à bicyclette, c’est qu’il était en manque.
Alors les hommes saoulaient Chaminade. Parce qu’on s’emmerde à la campagne, surtout l’hiver à l’heure du loup, et je vous parle d’un temps où la télé n’abêtissait que l’élite. Au bout de huit ou dix verres, Chaminade était fin saoul, il prêtait à rire. C’est pourquoi on l’appelait Chaminade tout court, comme on dit Fernandel.
Quoi de plus aimablement divertissant, en effet, pour un pauvre honnête, que le spectacle irrésistible d’un être humain titubant dans sa propre pisse en chantant Le Temps des cerises ?
On s’amusait vraiment de bon cœur, pour moins cher qu’un ticket de loto qui n’existait pas non plus. On lâchait l’ivrogne sur la place du Monument-aux-Morts où il se lançait alors dans un concours de pets avec le poilu cocardier. Parfois, il improvisait sur La Mort du cygne, tenant les pans de sa chemise comme on fait d’un tutu, avant de s’éclater dans la boue pour un grand écart effrayant. Et les hommes riaient comme des enfants.
En apothéose finale, on remettait de force Chaminade sur son vélo et on lui faisait faire le tour du monument. À chaque tour sans tomber, il avait droit à un petit coup supplémentaire, direct au tonnelet.
Un jour, Chaminade s’est empalé sur le pic de la grille métallique, mais il n’en est pas mort. « Il y a un Dieu pour les ivrognes », notèrent avec envie les bigotes aquaphiles, qui voguent à sec dans les bénitiers stériles de leur foi rabougrie. La dernière fois que j’ai vu Serge Gainsbourg en public, il suintait l’alcool pur par les pores et les yeux, et glissait par à-coups incertains sur la scène lisse d’un palais parisien, la bave aux commissures et l’œil en perdition, cet homme était mourant. Un parterre de nantis bagués et cliquetants l’encourageait bruyamment à tourner autour de rien en massacrant les plus belles chansons nées de son génie.
Irrésistiblement, ces cuistres-là m’ont fait penser aux ploucs, et lui à Chaminade.
Monsieur Desproges
Fonds de Tiroir Éditions du Seuil, Points
Ce texte devait figurer dans un recueil que préparait Pierre Desproges. Le titre prévu était : "Je les connais bien, je leur ai touché la main"
Toujours vivant mais plus comme ça
RépondreSupprimerJ'veux qu'mes chansons soient des caresses
Ou bien des poings dans la gueule,
A qui qu'ce soit que je m'agresse
J'veux vous remuer dans vos fauteuils.
Alors, écoutez-moi un peu,
Les pousse-mégots, et les nez d'boeufs,
Les ringards, les folkeux, les journaleux.
D'puis qu'y'a mon nom dans vos journaux,
Qu'on voit ma tronche à la télé,
Où j'vends ma soupe empoisonnée
Vous m'avez un peu trop gonflé.
J'suis pas chanteur pour mes copains,
Et j'peux être teigneux comme un chien.
J'déclare pas avec Aragon,
que l'poète a toujours raison.
La femme est l'avenir des cons
Et l'homme est l'avenir de rien.
Moi, mon av'nir est sur le zinc
D'un bistrot des plus cradingues
Mais bordel !
Où c'est qu'j'ai mis mon flingue ?
J'ai mis la main sur ma flingue !
J'vais pas m'laisser emboucaner
Par les fachos, par les gauchos,
Tous ces pauv' mecs endoctrinés
Qui foutent ma révolte au tombeau.
Tous ceux qui m'traitent de démago
Dans leurs torchons qu'j'lirai jamais :
"Renaud c'est mort, il est récupéré".
Tous ces p'tits bourgeois incurables
Qui parlent pas, qu'écrivent pas, qui bavent
Qui vivront vieux leur vie d'minables
Ont tous dans la bouche un cadavre.
T't'façon, j'chante pas pour ces blaireaux
Et j'ai pas dit mon dernier mot.
C'est sûr'ment pas un disque d'or
Ou un Olympia pour moi tout seul
Qui me feront virer de bord
Qui me feront fermer ma gueule.
Tant qu'y'aura d'la haine dans mes s'ringues
Je ne chant'rai que pour les dingues
J'adore ;o)
SupprimerTu m'as donné soif ...
RépondreSupprimerSociété tu m'aura pas… b'hein tiens…
RépondreSupprimerDepuis la mort de mon père et de ma mère, je préfère l'asphalte, la terre est mangeuse d'hommes. Serge Gainbourg